"Emprise" par Fleur Saint Cristo.

Publié le par Fleur

Prologue

 

 

Le fourgon banalisé vint se ranger à quelques mètres de l'entrée du club. J'étais assise sur la banquette centrale près de la portière, le regard rivé sur la vitre. C'était une nuit de nouvelle lune, noire et sans étoiles, mise à part l'enseigne lumineuse qui reflétait une lueur rouge semblable à une flaque de sang frais sur le trottoir, il n'y avait pas d'autres éclairages dans la rue. J'avais encore en tête les dernières recommandations de Joël. "Fais ce qu'on t'a demandé et tire-toi vite fait ! ". Un conseil des plus judicieux si l'on tenait compte de la nature du travail en question.

 

En rêgle générale, c'était Joël qui faisait les repérages des lieux sur lesquels il fallait opérer en urgence car il était doué pour neutraliser les caméras de surveillance et pour craquer les codes de sécurité informatique utilisés par la majorité des saigneurs de la nuit, soucieux de protéger leur intimité. Des vampires richissimes et hyper puissants, qui n'auraient aucun état d'âme à nous envoyer ad patres, au premier faux pas. Installé à l'avant sur le siège passager, Luc était concentré, ses longs doigts caressaient la crosse de son revolver, un Heckler et Kosh USP Match. Tout le monde dans l'équipe moi y compris, savait qu'il dormait toujours avec son arme à portée de main. Il ne s'en séparait jamais, à croire qu'ils étaient mariés pour le meilleur comme pour le pire ! Et le pire risquait d'arriver plus tôt que prévu ce soir. Luc - c'était le porte-flingue du groupe, un excellent tireur, imperturbable quelque soit les circonstances, " n'appelle jamais une cible par son nom, disait-il, ça lui donne une personnalité et ça ouvre une porte sur sa vie, sinon le moment venu ça risque de te faire hésiter ". Certaines personnes pourraient penser que c'était un type froid et sans scrupules mais ils auraient tout faux. Derrière moi, Félix et André, les jumeaux Malgache, anciens membres de la brigade d'intervention, étaient là en couverture pour m'extraire en cas d'urgence. Pour l'instant, ils pariaient sur mes chances de survie : une voix à mon avantage contre trois en ma défaveur. Comme quoi personne n'est parfait ! Etreinte par le doute et l'envie d'envoyer bouler ces colporteurs de mauvaise fortune, j'étendis une main hésitante vers la poignée. De l'électricité statique jaillit de mes doigts me faisant aussitôt regretter de ne pas avoir enfilé les gants qui trainaient dans mon sac.

  -Y'a que des mecs affamés dans ce bouge, ils vont la bouloter toute crue...

  -Tu rêves ! La gamine va s'offrir le luxe de les ignorer.

  -Ouais, faut qu'elle trouve le moyen d'esquiver suffisamment longtemps...

André poussa un soupir avant de répliquer:

   -Pas son truc du tout, ça.

  -ça va, lâchez-lui la grappe, s'insurgea Joël coupant court aux blablas, sa voix basse et rauque dénotant une anxiété quasi surnaturelle.

  -Je vais bien, grognai-je comme en écho à ses pensées.

  -ça m'est arrivé de te dire ça et tu ne m'écoutais pas.

  -Et la faute à qui, hein ?

Quelqu'un s'esclaffa, mais rien de tout cela ne comptait, parce qu'ils étaient mes amis et je savais qu'ils s'inquiétaient pour moi.

  -Où nous retrouvons-nous?

  -Derrière chez Joe, la salle de billard. C'est à un pâté de maison d'ici. C'est fermé, j'ai vérifié.

J'acquiesçai et me glissai à l'extérieur.

   -Pas de vagues, d'accord?

   -Reçu.

Il posa les yeux sur moi avec insistance.

   -S'il y à un pépin...

   -Je file sans attendre.

Je croisai ses prunelles grises qui me fixaient avec sérieux - en traduction, ça donnait : "revient intacte sans quoi c'est moi qui te dessouderait pour avoir manqué à ta parole ! ". J'adressai à mon coéquipier un sourire rassurant, qui perdit un peu de son éclat au moment de fermer la portière. Les dés étaient jetés. Je tirai sur la capuche de mon manteau, en réprimant un frisson d'appréhension et m'éloignai rapidement du véhicule en station.

 

 

***

 

 

 

 

Chapitre 1

 

 

 

 Des deux types qui se tenaient devant l'hôtel particulier reconverti récemment en club privé, l'un était un humain plutôt quelconque, qui bossait la nuit en plus d'un boulot diurne à mi-temps; tandis que l'autre était un vampire athlétique aux traits froids et anguleux comme taillés dans la pierre et ses iris avaient une nuance d'obsidienne que le plus pénétrant des regards ne pouvait percer. Je savais que les yeux des vampires pouvaient brusquement s'illuminer d'une lueur totalement différente de la précédente, une caractéristique qui vous forcez à y regarder à deux fois avant de comprendre que c'était leur façon à eux de vous mettre en leur pouvoir. Or, si les créatures de la nuit étaient attirantes et branchées, elles n'étaient pas pour autant sympathiques. D'après la fiche qu'on m'avait transmise, c'était un sujet d'Anaxinème, le plus ancien des buveurs de sang - même lié à son créateur selon les règles du monde surnaturel, ce type restait un homme important - pas vraiment du genre à se laisser berner par des artifices de pacotille, ce qu'ignoraient à priori les trois nanas devant moi qui patientaient en prenant une pause lascive dans l'espoir que le vampire les remarque. Elles devaient fantasmer sur ce mec - au demeurant attirant - enfin, si on aimait le style torride et trépassé. Définitivement pas ma came. Les non-morts ne vivaient pas, ils étaient figés dans le temps. Même si celui-là parvenait à faire illusion, c'était un mauvais garçon (méchamment) accro au sang et au sexe; comme la plupart de ceux et celles qui venaient chaque soir dans ce club en quête d'une reconnaissance physique et morale. J'étais sûre à deux cent pour cent, qu'elles le croyaient humain. Bien sûr elles se trompaient car il n'y avait absolument rien d'humain chez cette créature, si ce n'est d'être une menace pour des poulettes à la peau tendre.

   -Le videur est un garçon très occupé, fit remarquer quelqu'un.

   -Comme nous tous, signala une brunette accompagnée d'un néo-punk aux cheveux hirsutes.

Il y avait pas mal de monde présent sur place ce qui donnait lieu à un étrange amalgame de styles mêlant dentelles, piercings et tatouages couvrant, bras, poitrine, dos - ou dans plusieurs cas la peau entière. Pour d'obscures raisons l'accès au club semblait vital pour l'ensemble de ces gens et franchement, j'appréciai guère le fait d'avoir autant de compétiteurs. L'ambiance étant assez moche et compliquée comme ça. " Recentre-toi, libère ton esprit et tu franchiras l'obstacle haut la main..." J'inspirai à fond, me canalisant sur les sons de la foule impatiente, modulant ce lien jusqu'à ce qu'il se réduise en un parasite plus léger qu'un murmure. Si bien qu'arrivée à la hauteur du videur, je me contentai de montrer la carte que Joël m'avait fabriqué à partir de son logiciel de retouche et de lancer un bref " bonsoir " pour me glisser à la suite du trio. Peu m'importait que ces hommes me regardent ou pas, puisque ma seule préoccupation était qu'ils ne remarquent pas le pistolet dissimulé sous ma jupe. Je l'avais fixé sur ma cuisse à l'aide d'une bande de tissus élastique et le contact du métal sur ma peau me mettait mal à l'aise, j'avais vraiment hâte de terminer le boulot pour pouvoir m'en débarrasser. Je détestai les armes, mais Anton avait tellement insisté pour que je la prenne, qu'en fin de compte j'avais fini par capituler. Je savais par expérience qu'il ne fallait jamais contredire un ainé, surtout pas mon employeur et instructeur - le père Anton Gérando.

Le videur arrêta mon élan en se propulsant en travers de ma route. Sa main s'abattit sur mon épaule et il me fusilla du regard en émettant un claquement de langue désapprobateur. Son excès de zèle m'arracha un soupir d'agacement. Il scruta intensément mon visage avant de se décider à m'interroger.

   -Dis-moi poupée, c'est la première fois que je te vois, tu n'es pas membre du club?

   -Si, j'ai ma carte, rétorquai-je, produisant en guise de preuve le rectangle plastifié libellé au nom du club.

Las! Le videur n'eut pas l'air du tout convaincu, il interpella son collègue qui s'avança illico vers nous. La démarche féline de ce dernier et les muscles puissants dont les vêtements moulants ne donnaient qu'un faible aperçu, m'impressionnèrent. Il était habillé de manière simple mais raffinée : pantalon foncé et chemise en soie mauve qui devaient coûter à eux seuls, le prix des fringues que j'avais sur le dos, bottines comprises ! Il s'arrêta à proximité du videur, plus proche de moi que je ne l'aurai voulu, de sorte que son odeur corporelle frappa mes narines - une fragance particulière, fraîche et légèrement florale, spécifique aux vampires; le genre d'odeur qu'on s'attend plutôt à trouver dans un salon funéraire que sur un individu sain et en bonne santé. La chair de poule m'hérissa le duvet des bras, et mon pouls s'accéléra. Je me mordis l'intérieur de la joue, à mesure que mon esprit enregistrait la puissance du danger auquel je m'exposai....

 

 

A suivre....

 

 

Publié dans texte - Roman

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